Un an après la réouverture de l'appel d'offres des capacités de réserve secondaire :
Quel bilan pour les batteries en France ?
La réouverture de l'appel d'offres des capacités de réserve secondaire (aFRR – Automatic Frequency Restoration Reserve) aux systèmes de stockage par batteries (BESS – Battery Energy Storage Systems) le 18 juin 2024 constitue une étape décisive pour la transition énergétique en France. Ce tournant réglementaire a considérablement modifié la dynamique d’investissement, la rentabilité et le niveau d’innovation du secteur du stockage.
La réserve secondaire : un nouveau levier de valorisation pour les batteries
Depuis que les batteries ont accès au marché de l’aFRR, la France connaît une progression rapide des installations : le pays comptait 1,7 GW de batteries installées fin 2024 et environ 8 GW de projets en file d’attente[1]. Cette dynamique place désormais la France parmi les trois premiers pays européens par capacité installée et met en lumière l’importance croissante du stockage pour accompagner l’essor des énergies renouvelables (EnR) sur le réseau.
La réouverture de l'appel d'offres des capacités de réserve secondaire a eu un effet immédiat et notable sur la rentabilité : en 2024, le prix moyen sur ce marché a atteint 66 €/MW/h, contre 7 €/MW/h sur la réserve primaire (FCR – Frequency Containment Reserve). À titre d’exemple, une batterie de deux heures aurait généré en moyenne 256 000 €/MW/an en 2024, contre 176 000 €/MW/an en 2023, avant l’ouverture du marché de l’aFRR[2]. Cette évolution offre une perspective nouvelle aux opérateurs, qui étaient jusque-là limités par la saturation du marché de la FCR ou contraints de recourir uniquement au mécanisme de capacité.
L’augmentation des revenus potentiels favorise l’émergence de nombreux partenariats entre développeurs, énergéticiens et industriels, en particulier dans les zones du réseau où la volatilité crée des opportunités de régulation de fréquence. Des acteurs français et internationaux, comme Amarenco, TagEnergy, Harmony Energy, Acacia et Ambos Energy[3], intensifient leurs investissements sur le marché français. Par ailleurs, certains grands sites industriels installent leurs propres batteries, afin d’optimiser leur consommation, fournir des services système et réduire leur facture énergétique.
Comparaison européenne : France, Allemagne, Royaume-Uni
La France converge de plus en plus avec les marchés britannique et allemand, où le stockage par batteries est structuré autour d’une large gamme de services système et d’opportunités d’arbitrage.
- Au Royaume-Uni, la maturité du marché, la pluralité des mécanismes d’équilibrage (services rapides de fréquence, arbitrage, Capacity Market) et la stabilité offerte par des contrats pluriannuels apportent une visibilité de revenus supérieure, incitant les nouveaux investissements.
- En Allemagne, malgré une saturation partielle des marchés historiques et une concurrence soutenue (notamment sur la FCR), l’innovation technologique demeure vive et le volume installé demeure le plus élevé d’Europe continentale, soutenant la robustesse de la filière.
La France s’inscrit désormais dans cette dynamique, mais doit encore conforter son cadre à long terme pour pérenniser les investissements récents et attirer de nouveaux entrants.
Réglementation et perspectives européennes
Le secteur évolue dans un cadre réglementaire en mutation rapide, porté en France par la commission de régulation de l’énergie (CRE) et Réseau de Transport d’Electricité (RTE). Les récentes réformes visent à renforcer les standards techniques, alléger les contraintes administratives (comptage, raccordement) et encourager l’innovation à travers subventions et appels d’offres.
L’harmonisation européenne – accélérée notamment par le paquet Énergie Propre, l’initiative Net Zero Industry Act et les stratégies d’approvisionnement en métaux critiques – favorise le développement des échanges de flexibilité et pourrait à terme renforcer la rentabilité des opérateurs français. L’influence croissante des stratégies européennes sur l’indépendance énergétique et la sécurisation des chaînes d’approvisionnement structure désormais aussi le cadre d’investissement.
Attractivité et limites du modèle économique
La dynamique de croissance doit être nuancée : la stabilité financière du secteur reste fragile. Le marché de la réserve secondaire, fondé sur des appels d’offres compétitifs, expose les exploitants à une forte volatilité des revenus. Comme pour la réserve primaire, un risque de saturation existe, susceptible de générer une cannibalisation des revenus et une érosion rapide des prix, phénomène qui pourrait s’aggraver avec la disparition annoncée des offres symétriques en 2026. De plus, la capacité limitée de la réserve secondaire (1 180 MW) restreint les perspectives d’absorption pour les nouveaux projets.
Dans ce contexte incertain, la diversification des revenus reste essentielle : intervention sur d’autres marchés de flexibilité (réserve tertiaire, arbitrage sur marchés spot, mécanisme de capacité), développement de modèles hybrides (batteries couplées à des actifs EnR) ou intégration d’autres outils de flexibilité (effacement, hydrogène, véhicules électriques via la technologie "vehicle-to-grid” (V2G)). L’empilement des revenus (le “revenue stacking”) demeure la clé de la rentabilité et de la résilience pour les projets autonomes comme hybrides, jusqu’à la mise en place d’un environnement plus stable.
La refonte du mécanisme de capacité, attendue pour 2026, constituerait une avancée majeure, en assurant une meilleure visibilité, une complémentarité contractuelle et une confiance accrue des investisseurs.
Conclusion
Un an après la réouverture de l'appel d'offres des capacités de réserve secondaire, le marché français du stockage par batteries se trouve à la croisée des chemins. L’élan est manifeste, porté par l’innovation et une évolution réglementaire rapide, mais la stabilité et la rentabilité à long terme reposent encore sur la diversification des revenus et sur une implication renforcée des pouvoirs publics pour structurer des mécanismes de rémunération pérennes. L’instauration de dispositifs de rémunération à long terme, qui seraient actuellement à l’étude par RTE, constituerait un signal fort en faveur de l’investissement et permettrait d’ancrer le développement du stockage par batteries au cœur de la stratégie énergétique national.
À l’image du Royaume-Uni ou de l’Allemagne, seule une approche intégrée – associant innovations technologiques, diversification des modèles économiques et soutien réglementaire – permettra à la France d’installer durablement le stockage par batteries au cœur de sa stratégie énergétique et de son attractivité industrielle.
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[1] D’après les chiffres communiqués par la CRE lors de la conférence « Flexibilité & Stockage » du 6 février 2025, organisée par GreenUnivers.
[2] D’après les estimations de Clean Horizon données lors de la conférence « Flexibilité & Stockage » du 6 février 2025, organisée par GreenUnivers.
[3] On notera en particulier : (1) Amarenco Group qui développe le projet « Claudia », un projet de stockage par batteries lithium-ion (105 MW de capacité totale) situé en Gironde sous régime AOLT, sa puissance en fait l’un des plus grands projets de stockage en Europe, (2) TagEnergy qui a lancé la construction d’une installation de 240 MW / 480 MW/h à Cernay-lès-Reims, dans la Marne, (3) Harmony Energy qui construit un système de BESS de 100 MW / 200 MW/h dans le port de Nantes Saint-Nazaire, (4) Acacia qui s’associe avec le groupe Eren pour développer et opérer plus de 500 MW de batteries en France et (5) Ambos Energy qui a récemment finalisé une levée de fonds de 10 M€ destinée au déploiement de batteries autonomes de plus de 100 MW.