Labrune compte pas pour des prunes : la LFP amorce son changement de stratégie commerciale

La Ligue de Football Professionnel (LFP) a livré en 2020 un match éreintant. Pressée sans relâche par l’impact économique grandissant de la pandémie de Covid-19, elle a ensuite été taclée à retardement par son principal diffuseur, Mediapro. Ce dernier, qui avait emporté l’appel d’offre pour la diffusion de la Ligue 1 sur la période 2020-2024, a manqué deux paiements successifs en octobre et décembre 2020 avant de pousser la LFP à une résiliation anticipée de leur accord, les parties n’ayant pas trouvé de terrain d’entente sur une baisse des montants devant être versés par le diffuseur (voir ici notre analyse plus globale sur l’inéluctabilité des contentieux avec les diffuseurs).

Poussée par les clubs à changer le cours d’un match qui tournait en sa défaveur, la LFP, portée par son nouveau président Vincent Labrune, a décidé de faire un premier pas vers la création d’une filiale sous la forme d’une société commerciale qui viendrait sécuriser et accroitre ses revenus commerciaux et de diffusion. Cependant, les avis des clubs professionnels et de la LFP divergent quant à la tactique à adopter.

L’influence des schémas allemand et italien

Massivement touchés par la crise sanitaire, les principaux clubs professionnels français auraient fait connaître leur préférence pour adopter un modèle proche de celui de la Premier League anglaise (PL). Outre-Manche, la société en charge de commercialiser les droits de diffusions est entièrement détenue par les clubs membres de la PL.

Cependant, cette structure n’est pas compatible avec le droit du sport français. En effet, aux termes du code du sport, la Fédération Française de Football (FFF) est la seule bénéficiaire d’une délégation de service public reçue du ministre chargé des sports (art. L.131-14) avec la possibilité de créer une ligue professionnelle pour la représentation, la gestion et la coordination des activités à caractère professionnel (art. L.132-1). Ainsi, à défaut d’une modification du code du sport qui ne semble pas apparaitre sur l’agenda législatif du gouvernement, les clubs de Ligue 1 ne peuvent pas imiter leurs homologues britanniques.

Au regard des pertes importantes subies par les clubs français, la LFP se devait néanmoins d’agir. Elle a donc décidé de suivre un modèle plus continental. Le 10 décembre dernier, l’assemblée générale extraordinaire de la LFP a adopté une modification de ses statuts qui lui donne compétence « pour effectuer, directement ou indirectement, le cas échéant par le biais de structures tierces desquelles elle pourrait être membre ou associée, toutes opérations juridiques, financières ou commerciales en rapport avec son objet ». La LFP doit désormais obtenir le vote favorable de l’assemblée fédérale de la FFF puis l’approbation par décret du ministre chargé des sports avant de pouvoir considérer cette modification comme valable (art. 2.2 de la Convention FFF/LFP).

Si la LFP arrive à pousser cette balle au fond des filets, elle sera en mesure de créer une filiale prenant la forme d’une société commerciale, qu’elle détiendra entièrement ou partiellement, afin de commercialiser les droits de diffusions du football professionnel français. Elle suivrait ainsi l’exemple de la Bundesliga en Allemagne ou de la Série A en Italie qui ont adopté ce modèle avec succès.

Se démarquer de la procédure d’appel d’offre public

Par ce changement de direction, la LFP échapperait aux dispositions du code du sport lui imposant le recours à un appel d’offre public pour commercialiser les droits de diffusion. En effet, elle n’est actuellement autorisée à le faire que dans certaines conditions et limites (art. L.333-2 du code du sport) comprenant notamment un recours obligatoire à une procédure d’appel à candidatures publique et des contrats d’une durée maximale de quatre ans (art. R.333-3 du code du sport).

La procédure d’appel d’offre est particulièrement rigide et ne permet pas aux acquéreurs potentiels de négocier directement avec la LFP. L’obligation de remettre une offre à prix ferme semble, à la lumière des derniers évènements, nuire aux intérêts des clubs. Canal +, diffuseur historique de la Ligue 1, a ainsi remis une proposition trop faible pour remporter un seul des lots mis en jeu tandis que Mediapro s’est montré trop généreux pour que son offre soit viable (qui plus est dans le contexte de la pandémie de Covid-19). Alors que Canal + vient de demander la tenue d’un nouvel appel d’offre public et parait vouloir faire une proposition encore inférieure à leur offre infructueuse, l’idée qu’une négociation de gré-à-gré aurait été bénéfique aux clubs comme à la LFP est communément admise.

Cette nouvelle capacité de négociation sera donc la première innovation apportée par cette filiale au plan de jeu de la LFP.

L’entrée en jeu des fonds de Private Equity

La modification de ses statuts souhaitée par la LFP lui permettrait notamment de se renforcer avec l’arrivée de fonds de Private Equity (capital-investissement), les nouveaux joueurs clés de l’investissement sportifs.

En dépit de l’impact économique de la pandémie, ces derniers ont largement investi dans le sport en 2020, dévoilant un appétit insatiable pour l’acquisition de participations minoritaires dans les compétitions sportives (et plus particulièrement dans les sociétés possédant les droits commerciaux et de diffusion de ces compétitions). CVC Capital Partners a décidé d’investir dans le rugby et acquis 28% du Guiness-Pro 14. Silver Lake, qui s’est présenté au monde du sport en dirigeant le groupement qui a racheté l’Ultimate Fighting Championship (UFC) en 2016 pour 4 milliards d’euros, semble sur le point d’acquérir 15% de New Zealand Rugby pour 2 milliards d’euros.

Le football semble présenter encore plus d’attraits aux yeux de ces fonds. Un groupement mené par CVC Capital Partners, épaulé par Advent International et FSI, serait sur le point d’acquérir 10% de la Série A italienne pour un montant de 1,7 milliard d’euros. Plus de 20 fonds de Private Equity s’avèreraient être à la lutte pour acquérir une participation minoritaire (€) dans la nouvelle société commerciale mise en place par Deutsche Fussball Liga (DFL), la ligue de football allemande, pour commercialiser les droits de diffusion internationaux de la Bundesliga. Cet intérêt croissant des fonds de Private Equity intervient dans un contexte où les ligues et les clubs ont besoin de revenus à court terme tandis que ces fonds cherchent à diversifier leurs modes d’investissement.

L’arrivée d’un fond de Private Equity apparait comme la meilleure solution à court-terme pour une LFP fortement endettée. Son emprunt de 120 millions d’euros souscrit en octobre dernier pour compenser le défaut de paiement de Mediapro doit être intégralement remboursé en juin 2021. Or, l’engagement de Mediapro de payer une indemnité de résiliation de 100 millions d’euros d’ici fin mars 2021 (64 millions ayant déjà été versés) ne sera pas suffisant pour permettre à la LFP de s’acquitter de son obligation de paiement envers ses prêteurs. Cette dette n’est par ailleurs que la partie émergée de l’iceberg. La LFP devra également rembourser un autre emprunt, d’un montant de 224,5 millions d’euros, conclu afin de contrebalancer la perte par les clubs d’une partie de leurs revenus liés aux droits de diffusion après l’arrêt anticipé de la saison 2019-2020 en mars dernier.

De manière assez surprenante, l’arrivée de tels investisseurs n’aurait pourtant pas les faveurs des clubs professionnels français. Alors que les 20 clubs de Série A ont approuvé la vente d’une participation minoritaire à un consortium d’investisseurs, seuls 21% des dirigeants de clubs interrogés seraient favorables à une opération similaire en France.

Changement de stratégie commerciale : un coaching gagnant ?

Si les dirigeants de clubs ne sont pas encore prêts à accueillir les fonds de Private Equity à bras ouverts, ils sont en revanche nombreux à vouloir changer de stratégie commerciale. Selon une enquête, 72% d’entre eux veulent saisir cette opportunité pour transformer les modes de diffusion des contenus. Plutôt que d’utiliser cette nouvelle filiale de la LFP pour négocier de meilleures offres en gré-à-gré avec des diffuseurs traditionnels, certains acteurs souhaitent que la LFP reprenne le contrôle des contenus media et des droits de diffusion. Cette ambition s’inscrit dans la lignée du dernier projet de la DFL de développer une offre internet de diffusion de ses matchs par contournement (dite over the top (OTT)) au Moyen-Orient.

A ce stade, la LFP ne possède pas les capacités techniques ni l’expertise nécessaire pour fournir une diffusion OTT satisfaisante à ses spectateurs. Elle pourrait là encore s’inspirer de l’exemple de la DFL et créer une joint-venture avec un groupe media afin de bénéficier de ses moyens de production et de son expérience en la matière. Cette joint-venture aurait un contrôle complet sur les contenus et leur diffusion mais la LFP devrait en retour partager les revenus générés avec son nouveau partenaire.

Si la nouvelle filiale de la LFP décide de faire rentrer l’OTT en jeu, elle devra également traiter des sujets du format de diffusion et de la redistribution des revenus générés. Le pay-per-view mis en place par la Premier League anglaise n’a pas tenu la distance face aux critiques véhémentes des supporters et observateurs, mettant en évidence la difficulté de trouver le bon équilibre entre les coûts de production et les besoins des consommateurs (d’autant plus pendant la pandémie). La LFP pourrait cependant bénéficier d’un test grandeur nature imprévu dans les prochains mois. En effet, Canal + vient de lui proposer de diffuser l’ensemble des matchs de Ligue 1 en pay-per-view (€) en attendant les résultats du nouvel appel d’offre public que la chaine a sollicité. Jean-Michel Aulas, le célèbre président de l’Olympique Lyonnais, milite lui pour la création d’un « Spotify du football » qui regrouperait l’intégralité des offres dans un abonnement unique. Si cette solution peut engendrer une réduction des coûts pour les spectateurs, elle risque de moins plaire à certains clubs. En effet, le modèle « Spotify » implique une rémunération indexée sur le nombre de spectateurs, ce qui serait préjudiciable aux clubs possédant un public restreint.

Conclusion

En dépit de la pression qu’elle subit, la LFP continue de construire patiemment son jeu. La prochaine assemblée fédérale de la FFF, au cours de laquelle cette (r)évolution structurelle doit être abordée, a été repoussée en mars. Ce ne sera pas de trop pour permettre à la LFP et aux clubs de mettre au point une stratégie commune afin de parler d’une seule voix quand l’occasion se présentera.