Promotion de l’alcool dans
le sport : la loi, en vain ?

La crise sanitaire a asséché les finances des clubs de sport professionnels français et tari la source de leurs revenus. Qu’à cela ne tienne, le Sénat pourrait leur proposer une solution inattendue : l’alcool. A l’heure où certains pays cherchent à atténuer les effets de la libéralisation de la publicité pour les paris en ligne, un rapport de la Chambre haute voit dans la promotion et la vente d’alcool dans les enceintes sportives une manne de revenus supplémentaires. L’occasion de revenir, avec modération, sur les liens étroits qu’entretiennent sport et boissons alcooliques.

La loi Evin et la promotion de l’alcool dans le sport

Pour beaucoup, l’alcool et le sport (à la télévision) vont de pair. Par exemple, le Super Bowl 2021, suivi par plus de 96 millions de téléspectateurs dans le monde, a mis en avant des publicités pour diverses marques de bière, tequila, vodka et autres liqueurs.

Cependant, la France adopte une approche différente. La loi dite « Evin », introduite en 1991, vise à lutter contre le tabagisme et l'alcoolisme par une réglementation stricte de la publicité. Elle interdit notamment de communiquer autour d’une opération de parrainage impliquant toute boisson dont la teneur en alcool est supérieure à 1,2%. En outre, les contenus audiovisuels édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport ne peuvent pas promouvoir l’alcool. Enfin, la vente de boissons alcooliques est par principe interdite dans tous les établissements d'activités physiques et sportives, en ce compris les stades.

Un rapport du Sénat (publié en 2017) indiquait qu’une modification de la loi Evin autorisant (i) la vente d’alcool dans les stades et (ii) la publicité pour certaines boissons alcoolisées (y compris en tant que sponsor maillot), permettrait de rapporter entre 30 et 50 millions d’euros aux clubs professionnels. Dans un rapport ultérieur (publié en juillet 2020), un groupe de travail du Sénat a proposé d’autoriser la consommation et la promotion de certaines boissons alcooliques dans les stades, dans le cadre d’un test de deux ans. Un tel assouplissement devrait, selon ce rapport, « permettre de favoriser le retour des supporteurs dans les stades lorsque les contraintes portant sur les grands rassemblements seront levées et d’aider économiquement les clubs ».

Mise de côté en raison de la pandémie de Covid-19 (laquelle engendre notamment la tenue des rencontres à huis clos), la proposition du Sénat pourrait s’inviter à la table du législateur cet été. Reste toutefois à traiter un enjeu majeur : la préservation de la santé publique.

Et surtout, la santé !

La fonction première de la loi Evin est de préserver la santé publique. Limiter l’exposition du public, et notamment des plus jeunes, à l’alcool, est considéré comme un moyen de prévenir les risques d’addiction qu’il peut engendrer. Ce sujet est d’ailleurs traité dans un livre du code de la santé publique intitulé « Lutte contre l’alcoolisme ».

Le sport, quant à lui, est promu par le Ministère des Solidarités et de la Santé pour ses bienfaits sur la santé, physique et mentale, de celles et ceux qui le pratiquent. Un plan national de santé publique (intitulé « Manger, bouger ») a d’ailleurs été lancé en 2001 afin d’améliorer l’état de santé de la population française en agissant sur l’alimentation et l’activité physique.

L’association de l’alcool et du sport n’a donc, du strict point de vue des politiques de santé publique, rien d’évident. Pourtant, on constate régulièrement la présence de marques d’alcool dans le sport et dans les stades. Il existe en effet de multiples façons de vendre de l’alcool et d’assurer sa promotion dans un contexte sportif.

Cachez cette bière que je ne saurais boire

Tout d’abord, les associations sportives peuvent vendre certains alcools dans les établissements d’activités physiques et sportives jusqu’à dix fois par an, sur autorisation préalable du maire. La vente d’alcool est aussi permise dans les espaces réceptifs des stades (espaces VIP, loges, restaurants…) dès lors que les autorisations idoines ont été obtenues par les clubs.

Ensuite, les alcooliers sont nombreux à sponsoriser des évènements sportifs et à apparaître sur nos écrans lors de compétitions sportives. En effet, la loi Evin n’interdit pas à un producteur d'alcool d'être sponsor d’une compétition sportive : seul est prohibé le fait de faire état de ce statut de sponsor dans le cadre d'une communication commerciale diffusée sur le territoire français. Les noms de certaines compétitions sportives incluant des marques d’alcool n’ont ainsi pas pu être mis en avant lors de rencontres se déroulant en France, et ont dû être modifiés en conséquence.

La réalité veut que la loi Evin ne puisse pas garantir que le public français ne soit jamais exposé à des marques d'alcool dans un contexte sportif. Les limites territoriales de la loi se font régulièrement jour lors de retransmissions en France d’événements sportifs internationaux. En particulier, les panneaux publicitaires disposés autour des terrains promeuvent tous types de produits et services, et notamment des marques de boissons alcooliques. Les diffuseurs en charge de ces retransmissions en France sont tenus par un code de bonne conduite, aux termes duquel ils doivent faire leurs meilleurs efforts afin de ne pas favoriser la visualisation de telles publicités voire à en prévenir l’apparition, selon que la manifestation sportive vise directement ou non le public français (en raison de la participation d’un sportif ou d’une équipe française).

Enfin, les marques ont cherché à communiquer au travers de techniques variées et innovantes :

  • en ayant recours à des slogans ou des signes ne reprenant pas directement leurs marques ;
  • en promouvant des produits sans alcool. C’est ainsi que, lors de l’Euro 2016 de football en France, Carlsberg a axé sa communication sur la bière sans alcool « Tourtel Twist », tout en commercialisant, dans les fan zones dédiées, des bières alcoolisées.

La conformité de ces pratiques à la loi Evin soulève des interrogations, car le code de la santé publique interdit également la « propagande ou publicité indirecte », c’est-à-dire la publicité pour un produit autre qu’une boisson alcoolique qui, « par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une dénomination, d'une marque, d'un emblème publicitaire ou d'un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique. »

Le tribunal de grande instance de Paris a opté, en 2014, pour une interprétation stricte de cette disposition, favorable aux alcooliers. Toutefois, des situations similaires continueront de se présenter et devront être évaluées au cas par cas.

Mettre de l’eau dans son vin ?

Indubitablement, d’étroites relations existent entre sport et alcool. La proposition de ce groupe de sénateurs a pour but d’attirer les capitaux d’alcooliers déjà investis dans le monde sportif, afin qu’ils prennent une plus grande part au financement de ce dernier.

La situation financière dramatique des clubs professionnels français, affectés par la pandémie, la fermeture des stades voire, s’agissant du football, par les défauts de paiement et les contentieux des diffuseurs, pourrait accélérer l’ouverture de nouveaux supports de communication pour les alcooliers et asseoir un peu plus leur visibilité.

Le projet de « faire de la France une vraie nation sportive » pourrait alors avoir un goût amer pour les défenseurs de la santé publique, sommés de mettre de l’eau dans leur vin. Ou l’inverse.